Rebelle


Le rebelle passait inaperçu sur les chemins gris et roux des arbres. Il écrivait ton Nom sur des murs rouges et blancs. Des lettres d'encre bleue partout, le rebelle fou courait dans les rues chercher des murs libres, nus, immaculés, et ses cheveux décolorés par le soleil suiveur. Écrire ton Nom. Je l'avais suivi. Il m'avait vue. Son regard me dépaysait. Il avait un oeil bleu et l'autre noir. Le même noir que ton Nom.

Nuits picturales


Je voudrais peindre des têtes avec la mer à côté
qui nettoie le creux des coquillages
Coquillages coquillages
pourquoi ce nettoyage ?
Je veux peindre des têtes avec la mer à côté
qui lave le creux des coquillages
Coquillages coquillages
pourquoi ce lavage ?
J'ai goûté les coquillages
un goût de mouette morte
un goût de sable gris lourd
plus loin encore
un goût de noir
fusain cendres charbon
et tout cela est profond
fusain cendres charbon
et tout cela est bon
Coquillages baptisés
Mer eau bénite
Vouloir peindre des têtes
plongées dans la mer...

La petite Chinoise


Ne fais point de bruit le jardin endormi je dors longtemps les yeux fermés depuis des nuitées je me réveille quelque chose ne passe pas le film est coincé dans le magnéto qu’as-tu fait tu as appuyé sur la marche arrière recule encore tu as vu la petite fille dans le caniveau ils la laissent là comme un détritus c’est beau la mort seule avec l’eau sale des gens qui passent tu m’as réveillée j’étais bien dans le jardin il fait toujours nuit et toi tu sors de mes rêves pour affronter la réalité ses couleurs sont brutes tu me déranges tout le temps avec tes cauchemars pourquoi me bouscules-tu je voulais planter un arbre dans mon jardin et il n’y a toujours pas de fleurs mon jardin est nu mais bizarrement pas aussi nu aussi vierge que la petite fille dans le caniveau les bras étendus face au ciel arrête d’empoisonner la terre de mes rêves avec tes films qui m’arrachent les tripes tu passes ton temps à me mettre la tête sous l’eau et je ne vois plus que le reflet du visage de la petite fille qui me sourit mon Dieu je ne savais pas que la mort avait un sourire je suis perdue je revois encore ce visage blanc transfiguré par le sourire et moi je me sens noire l’obscurité m’envahit j’ai perdu le chemin qui mène à mon jardin rêvé mon jardin sans arbre sans fleur alors que je passais mes nuits à le semer mais qu’ai-je fait pour le rendre aussi vierge malgré tout mes nuits sont plus belles que tes jours toi tu passes tes jours à me montrer la réalité qui fait des trous de bombes dans mon jardin si paisible des trous des tranchées « s’il te plaît enterre-moi » il y a encore des trous des corps avec des yeux retournés vers l’arrière tout blancs toujours vers l’arrière pour mieux sentir l’autre monde pour mieux partir pour mieux jouir de la mort et tout oublier et oublier tout quitter et quitter « s’il te plaît déterre-moi » j’étouffe encore repasser le film l’enterrer le déterrer revenir en arrière revoir les yeux retournés révulsés tout blancs tout est blanc à n’en plus finir je tombe je ne vais pas bien la mort est blanche je tombe encore je remonte très vite et je vomis blanc je vomis sur la petite fille je lui lave son visage je te salue Marie je vomis encore j’ai la bouche toute gonflée je te bénis je te prie je te prends à bras le corps tu es toujours belle je t’ai lavée tu es lavée je te prends contre moi ne pas revenir en arrière avancer quelque part avec ton sourire tu me donneras des fleurs des arbres retrouver mon jardin mais plus comme avant un autre jardin plus fort plus vrai plus coloré c'est la vie la réalité la vie la réalité

Chat-huant


assise dans un fauteuil à paille dorée
le Livre dans mes mains lavées
l’Évangile lu et aimé
je vois une masse noire
au pied de l’olivier
matière animale et morte
l’Évangile lu par cœur
à chaque constellation
ma main parfumée du Rêve éternel
enfonce les ailes du chat-huant
dans la terre froide de la nuit
la croix aux plumes brunes
dans le silence de l’orant
je prie encore
et les ailes déployées se libèrent
des pesanteurs de la vie
vie ululée de plaisir nocturne
l’autre ciel t’appartient maintenant
tu rentres dans le secret
du commencement du Verbe
l’oiseau parti si loin
et si proche de moi
là où mes mains plongées dans le Livre
frôlent le cœur des lettres d’or
bâties par Celui qui t’a conçu.

Le piano


Dans la villa Notre Dame Reine Des Anges longeant la côte pacifique, j’aime encore les parfums édulcorés des hibiscus rouges posés sur les rebords des fenêtres ouvertes sur le plongeon des eaux chlorées. Je me revois encore faire des longueurs au rythme d’un poisson d’eau douce sous la lune blanche à la sonate mélancolique. Ces soirées plongées dans le désir bleu de la piscine olympienne m’enivrent comme mes doigts posés sur le piano aux touches blanches lentes et noires rythmées. J’aime jouer les compositions de Erik Satie à minuit passé toujours comme dans un rêve infini. Le temps n’existe pas dans la villa Notre Dame Reine Des Anges. Il n’a jamais existé. Le coucou en bois peint rouge et blanc de l’horloge reste toujours suspendu sur les aiguilles hautes de minuit. Minuit vertical. Minuit vertigineux. Maintenant silence. Le très-haut minuit me laisse dans un état léthargique. Pour la première fois, le coucou se met à chanter. Je le croyais muet. Et pourtant… Je jouais du piano quand très vite la mélodie rêveuse et mélancolique vire dans une symphonie cacophonique. Je me dis que mon piano joue mal. Peut-être est-il essoufflé par mes inlassables nocturnes. Encore une fois, je me hasarde sur les touches du piano qui finit par sombrer dans la folie du désordre. Une évidence s’est imposée à moi. Le mal-être de mon piano me rappelait que c’est moi qui jouais mal. Mon piano partageant mes heures heureuses de solitude avait ressenti mes états d’âme. Toujours besoin de mon compagnon enchanteur de la nuit, je rejoue encore pour oublier un peu. Je joue des croches, des rondes, des blanches, des noires encore des rondes puis des triples croches. J’approche un passage difficile à jouer. Mes doigtés ralentis presque abrutis butent sur chaque note. Les notes s’entrecroisent, se disputent entre elles. J’avance, j’affronte ces querelles musicales. Mon cœur palpite en jouant ces notes syncopées. Je ne veux m’arrêter, je ne peux pas, je veux oublier, m’oublier. Je suis ivre de mal jouer. Je bois encore ces mauvaises notes toujours en désaccord. Je me sens mal. Mes légers doigts deviennent maladroits et lourds. La mélodie tourne dans le grave frôlant le pathétique. Je vois des tourbillons partout. J’entends des cris qui collent à moi. Je perds mes repères, je suis hors du temps, hors du monde. Les livres posés sur le piano ne ressemblent plus à rien. J’avais perdu le sens de l’existence des objets qui m’entouraient. J’ai envie de partir, je cherche la porte. Où est la sortie ? J’ai du mal à respirer. Où est la sortie ? Des cris encore des cris qui me tapent dans la tête. J’ai le sommeil plus lourd que ces cris hallucinants. La sortie est longue. La porte est trop loin. Je m’endors sur mon piano, ma bouche se cogne sur le bois noir musical. Je saigne tout doucement. Des cris encore des cris qui me hantent. Je m’énerve, je tape fort sur le bois de mon piano. Je saigne encore de la bouche jusqu’à faire rougir le clavier tout blanc. J’entends un cri, un autre cri plaintif venant sous mes mains tremblantes. Mon piano a mal. Je lui ai fait mal. Mon piano saigne noir. Je trouve enfin la sortie. Je me réveille tout doucement. J’ai mal aux reins et j’ai laissé une tache rouge sur mon lit. Mon rouge mensuel a marqué ma longue chemise blanche de la nuit tourmentée. J’ai mal dormi. Je n’ai pas aimé ce mauvais rêve.